L’histoire du cinéma est jalonnée de ratages flamboyants. On pense, évidemment, au mémorable Plan 9 From Outer Space (1959) qui valut à Ed Wood le titre de plus mauvais réalisateur de tous les temps (titre disputé depuis par le cinéaste Allemand Uwe Boll, notamment). Depuis, certaines oeuvres se sont glissées (involontairement) dans son sillage.
Parfois, ça ne marche pas… et on aime ça !
Outre-Atlantique, on pense à des films comme Les Dents de la Mer 4 (1987) et son squale vengeur, Terre champ de bataille (2000) et son invasion alien à dreadlocks, Dragonball Evolution (2009) et sa tentative ratée de faire honneur à Son Goku, le pas si lointain Cats (2019) et ses félins dansants ou l’incontournable The Room (2003), OVNI signé Tommy Wiseau à qui on voue aujourd’hui un véritable culte.
Côté français, les exemples ne manquent pas. Le Jour et la nuit (1997), L'Extraterrestre (1999), Vercingétorix (2001), Incontrôlable (2006, Cinéman (2009), Le Baltringue (2010) ou Bad Buzz (2017) se sont tous « pris les pieds dans le tapis » durant leur fabrication, transformant des idées potentiellement intéressantes sur le papier en accidents industriels et artistiques sur l'écran. Parfois, c’est ainsi, ça ne marche pas. C’est ce qui fait -aussi- la magie du cinéma. Et c’est ce qui fait qu’on aime, finalement, (re)voir ces propositions improbables.
Papamobile, « un nanar revendiqué »
En 2025, le cinéma hexagonal nous a offert l’une des ces œuvres inclassables, immédiatement devenue LA curiosité de l’année. Sans pour autant être visible. Il faut dire que les distributeurs, déçus devant le résultat obtenu après trois remontages (!), ont carrément renoncé à donner sa chance au long métrage, le reléguant à une sortie technique en plein milieu du mois d'août dans 7 cinémas seulement pour honorer leurs obligations contractuelles. Et ce malgré la présence au générique de Kad Merad. Ce film, c’est Papamobile (2025) de Sylvain Estibal.
Journaliste, romancier (Le Dernier vol, 2009, adapte l’un de ses ouvrages) et réalisateur, Sylvain Estibal fait des débuts remarqués dans le cinéma en 2012, en remportant le César du Meilleur premier film pour Le Cochon de Gaza (2011). Succès critique et public (plus de 300 000 entrées), cette fable tragi-comique met en scène un pêcheur palestinien qui tente de se débarrasser d’un cochon envahissant, animal impur tombé d’un cargo et ramené dans ses filets dont il va essayer de tirer profit.
Il faut attendre 2023 pour que ce cadre de l’AFP retrouve le chemin des plateaux. Tourné en 24 jours au Mexique, pour à peine 1,2 millions d’euros, Papamobile part là encore d’une situation décalée : l’enlèvement du Pape par la dirigeante impitoyable d’un cartel mexicain lors de sa visite dans le pays, qui va réaliser que son captif est en réalité un sosie du souverain pontife. Entre quiproquos et critique des arcanes du Vatican, le film se veut une farce absurde aux allures de « nanar revendiqué ».
« Ce film, comme Le Cochon de Gaza qui était un conte pour la paix, est un voyage absurde dans notre époque et aborde des thèmes sensibles tels que la religion, le narcotrafic et les migrations avec humour et bienveillance », explique alors le cinéaste dans un droit de réponse relayé sur les réseaux sociaux. « Le manque de moyens est totalement assumé dans la réalisation avec un côté nanar revendiqué. Le film est difficile à mettre dans une case et peut-être que cela perturbe et dérange d’autant qu’il aborde parallèlement des thèmes sérieux qui nous préoccupent collectivement. (...) J’invite les curieux à se faire leur propre avis ».
« C’est raté »
Ce droit de réponse est intervenu le jour de sortie du long métrage, alors qu’un service minimum était mis en place (7 salles de Province, aucun écran à Paris) et que l’un des producteurs le qualifiait de « comédie pas drôle » dans les colonnes du Canard Enchaîné, balayant le film d’un « c'est raté » catégorique. Papamobile aurait dès lors pu passer inaperçu entre le flot des sorties estivales et les grandes vacances. Au contraire, ce désaccord entre le réalisateur et la production/distribution va attirer l’attention sur le film.
Une comédie avec Kad Merad, valeur sûre du box-office, « sabordée » par sa propre équipe ? Il y a là une histoire fascinante à creuser, qui amène Sylvain Estibal jusque sur le plateau de Quotidien où il défend son projet. « Tout le monde dit que c’est raté, du point de vue de l’idée que c’était un film différent, il est totalement réussi. C’est totalement différent de ce qu’on attend de voir au cinéma. Il a une originalité qui est assez inédite dans le contexte actuel. Je comprends le distributeur qui se demande ce qu’il va faire avec ce truc car ça ne rentre dans aucune case. Effectivement, il n’est pas du tout formaté, on ne peut pas le marketer facilement, mais il a le mérite d’exister. C’est un film qui parle de l’absurdité et de la folie du monde actuel, qui se sont un peu répercutées dans le film lui-même, et il y a comme un prolongement de cette folie dans la sortie qui est complètement folle. »
Grâce à ce buzz inespéré, Papamobile intrigue. Au point de multiplier son parc de salles par cinq, avec trente-six écrans qui finissent par accueillir le long métrage. « Il devait sortir le plus discrètement possible, puis il y a eu ce coup de projecteur inattendu sur ce film que j'ai interprété avec beaucoup de plaisir », explique Kad Merad au micro de Pure Médias. « Dès le départ, le film était très particulier, très insolite, très curieux, très atypique. C'est vrai qu'on a peut-être souffert de moyens, il faut le dire. On est partis tourner au Mexique, au Vatican. Ça a été très compliqué. Le film est ce qu'il est, moi je l'aime, je le trouve intéressant et insolite. Comme l'a dit le réalisateur, ou ça passe ou ça casse, bon ça a plutôt cassé… »
Il faut dire que le résultat est pour le moins déroutant. Avec des personnages décalés, un ton absurde, des situations loufoques, un rythme particulier, un jeu approximatif, un manque évident de budget, des choix parfois souvent bancals... Et -me concernant- une absence totale de rire (et même de sourire) et un ratio « durée réelle / ressenti » qui passe du simple au double (1h26 de film, 3h de ressenti). « Tout cela est un grand n’importe quoi » lâche judicieusement le narrateur du film, un garde suisse dont la voix-off a été ajoutée pour rallonger la durée du film.
Restent Kad Merad chevelu (c’est rare !), une (pas si) méchante campée par Myriam Tekaïa -également coscénariste- que le réalisateur compare à la Annie Wilkes de Misery (ça n’engage que lui) et une improbable scène de léchage d’orteils tournée sans trucage par l’interprète du Pape Barnabé VI, dont la compagne Julia Vignali s’offre une apparition clin d’oeil en présentatrice télé. Ah oui, et puis des pédalos canard, un crocodile baptisé Marguerite, un braquage de la banque du Vatican et une traversée en sous-marin sans sous-marin. Quand je vous dis que c'est une vraie curiosité à voir, je n'exagère pas !
372 entrées
Côté entrées, 372 personnes avaient fait le déplacement à la fin de l’été selon BFM. « J'ai fait le plus gros succès du cinéma français, je vais peut-être faire le plus grand bide… », prophétisait Kad Merad, qui passe des 20 millions d’entrées de Bienvenue chez les Ch’tis (2008) au plus gros échec de sa carrière avec Papamobile. Tout en relativisant la situation (« Ça s'appelle une vie d'acteur et j'espère continuer à avoir des surprises comme ça. ») et en embrassant le statut culte gagné par le long métrage dans cette aventure.
Pour en juger, vous pouvez désormais le découvrir en VOD sur les plateformes recensées par JustWatch juste ici, avant une diffusion en streaming sur Prime Video courant 2026. En ayant en tête, avant de lancer votre visionnage, l’avertissement partagé avec beaucoup d’autodérision par le réalisateur Sylvain Estibal dans un excellent post LinkedIn que je trouve personnellement plus réussi que le film. Le voici ci-dessous. Bon Papamobile ! Ou pas.
« Appuyez sur lecture. Et pardonnez-moi. Ou remerciez-moi. »
Post LinkedIn de Sylvain Estibal - Le plus gros nanar français de ce XXIᵉ siècle, une anomalie cinématographique, un alien visuel, que j’ai la fierté (et l’inconscience) d’avoir réalisé, est enfin disponible en VOD sur Prime Video & Amazon MGM Studios et Orange Cinéma.
Pour celles et ceux qui n’ont pas eu la chance particulièrement rare de le voir dans l’une des 7 salles qui l’ont projeté : réjouissez-vous ! Vous allez enfin pouvoir l’admirer, le disséquer, ou le fuir vite depuis votre canapé. Ce film a été tourné avec passion, sueur, de maigres deniers et probablement un léger déni de réalité. Heureusement, j’avais déjà un César : ça aide à survivre à ce genre d’aventure.
Disclaimer : certains spectateurs ont ri, d’autres ont été médusés, quelques-uns ont pensé que leur télé avait un problème. Et puis il y a ceux qui ont simplement murmuré : « Ah ouais… quand même. »
Appuyez sur “lecture”. Et pardonnez-moi. Ou remerciez-moi. Franchement, je ne sais plus.














































































































