Vous avez sûrement déjà imité un « Valar Morghulis » sans forcément penser à ce que cachait cette réplique incontournable de Westeros. Pourtant, derrière les langues de fiction que nous entendons dans les films et séries, se cachent de vrais systèmes linguistiques, travaillés pendant des mois
Des linguistes, chercheurs et scientifiques se penchent dessus pour livrer un élément narratif indispensable à l’histoire, avec sa grammaire, ses sons, parfois même ses dialectes. Pour JustWatch, je reviens sur dix langues créées pour le cinéma et les séries, et sur ce qu’elles révèlent des peuples qui les parlent.
Manière de penser, rapport au pouvoir, à la nature, à la guerre ou au sacré : chaque idiome raconte une façon d’habiter son univers. Parfois, ces langues finissent même par dépasser l’œuvre pour être étudiées, pratiquées, utilisées et vivre leur propre vie.
Le na’vi — Avatar (2009)
Dans Avatar (2h42), la langue na’vi est la clé qui permet à Jake Sully d’entrer vraiment dans le monde de Pandora. James Cameron ne voulait pas faire les choses à moitié avec un charabia alien : il souhaitait proposer une langue crédible, avec sa propre musicalité et logique. Il a donc fait appel au linguiste Paul Frommer, qui a conçu le na’vi comme une langue suffisamment intuitive et facile pour être apprise par les acteurs… et plus tard par les fans.
Le résultat est une langue aux voyelles très présentes, ponctuée de consonnes éjectives qui lui donnent un côté à la fois doux et étrange. Le lexique tourne autour de la nature, de la spiritualité et du lien entre les êtres, en parfaite cohérence avec la culture na’vi. Le fait que Cameron et Frommer aient ensuite enrichi la langue pour Avatar : La Voie de l’eau (2022) montre à quel point le na’vi n’est plus seulement un décor sonore, mais un véritable outil de narration. Aujourd’hui, il existe des cours, des sites et une communauté active qui continuent de le faire vivre.
Le dothraki — Game of Thrones (2011–2019)
Dans Game of Thrones (8 saisons), le dothraki est la langue des cavaliers nomades qui parcourent les steppes d’Essos, celle de Khal Drogo incarné par Jason Momoa. George R.R. Martin en avait inventé quelques mots dans ses romans, mais c’est le linguiste David J. Peterson qui a entièrement créé la langue à partir des bribes déjà trouvées par l’auteur du Trône de Fer. On y trouve une phonologie rude, beaucoup de gutturales et un vocabulaire très marqué par les chevaux, la guerre et le clan. Dans la sonorité même du dothraki, on retrouve une culture de l’oral, du défi et de la violence, et évidemment de la vie de nomade.
Comme beaucoup de langues de cette liste, le dothraki obéit à des règles de grammaire précises et est constitué de milliers de mots. Son impact est essentiel pour le début de la narration de la série : outre ce qu’elle raconte du peuple dothraki, elle illustre l’évolution de Daenerys. Quand elle passe de l’accent hésitant des débuts à un parler fluide et autoritaire, on sent de manière très concrète son ascension au sein du peuple. Et si jamais vous voulez dire à quelqu’un que vous l’aimez -et avoir le charisme de Jason Momoa en même temps-, alors dites « Anha Zhilak Year ».
Le haut valyrien — Game of Thrones (2011-2019)
Dans Game of Thrones, le haut valyrien est bien différent du dothraki. Créé lui aussi par David J. Peterson à partir de mots inventés par George R.R. Martin, il prend la stature d’une langue classique, un peu comme le latin : prestigieuse, ancienne, associée aux grandes familles et au passé de Valyria. Tout est plus complexe, sa grammaire, ses déclinaisons, sa musicalité, ce qui en fait une langue presque élégante, que l’on entend dans la bouche de Daenerys quand elle souhaite affirmer son héritage Targaryen.
Là où le dothraki colle à une culture guerrière nomade, parlée au quotidien dans les steppes, le haut valyrien sert surtout de langue de prestige, de rituel, de savoir. Son utilisation est politique, avec pour but d’affirmer un pouvoir. Les deux langues dessinent ainsi deux mondes sociaux : les cavaliers libres d’un côté, les héritiers d’un empire disparu de l’autre. Vous voulez peut-être demander un Targaryen en mariage ? Dans ce cas, il faut lui dire : « Ao ynoma dīnilūks? »
Le klingon — Star Trek
Le klingon apparaît d’abord par bribes dans Star Trek (la série originale de 1966–1969, puis les films), avant de devenir une des langues fictives les plus célèbres du monde. À partir des années 80, le linguiste Marc Okrand est chargé de lui donner une structure complète, avec une grammaire, un lexique et un ordre des mots volontairement « alien » (objet–verbe–sujet).
Le klingon colle parfaitement à l’image de ce peuple guerrier : sons gutturaux, consonnes dures, impression de fermeté. Cette langue est tellement développée que Hamlet de Shakespeare existe en version Klingon (The Klingon Hamlet) ! De même, un opéra nommé « u » a été entièrement écrit dans la langue de Star Trek. Les fans ont créé une vraie micro-culture autour de cette langue, avec dictionnaires, cours et même un institut du klingon. Et si jamais vous vous retrouvez parmi le peuple Klingon et que vous cherchez les toilettes, alors demandez simplement « nuqDaq 'oH puchpa' ' e ' ? » Simple, non ?
Le fourchelang — Harry Potter (2001–2011)
Dans la saga Harry Potter, le fourchelang — la langue des serpents — n’est quasiment jamais sous-titré, et c’est ce qui fait sa force. Il ne s’agit pas ici d’une langue construite comme les autres exemples de cette liste, mais d’un langage basé sur ses sonorités et ce qu’elles représentent.
Il marque immédiatement celles et ceux qui le parlent comme différents, potentiellement dangereux, presque « contaminés » par Voldemort. Le langage imite le serpent, et se parle presque en un seul long souffle. Les sonorités très sifflées, construites par les équipes son et doublage à partir de prises de voix retravaillées, font du fourchelang un outil dramatique plutôt qu’une langue.
Le sindarin — Le Seigneur des anneaux (2001–2003)
Bien avant Hollywood, J.R.R. Tolkien, linguiste dans l’âme, imaginait des langues pour son plaisir. Le sindarin, tel qu’on l’entend dans la trilogie Le Seigneur des anneaux, est l’aboutissement de décennies de travail. Inspiré en partie par la phonologie du gallois, ce parler elfique privilégie les enchaînements doux et agréables, les consonnes non agressives et les diphtongues qui donnent cette impression de chant permanent.
Le sindarin est la langue des Elfes Gris, ceux qui n’ont pas quitté la Terre du Milieu. Il porte en lui un rapport au temps différent. À l’écran, quelques dialogues suffisent à sentir que cette civilisation ne fonctionne pas comme celle des Hommes : tout y est plus lent, plus réfléchi, plus poétique, plus chanté. Tolkien, qui ne faisait pas dans la demi-mesure, a conçu non seulement des mots, mais aussi l’évolution de cet idiome au fil des âges, avec ses variantes régionales et ses changements phonétiques. Résultat : même sans comprendre, on peut ressentir une profondeur immense en écoutant la langue. Le sindarin représente parfaitement le génie et la richesse impressionnante de cet univers fantasy, avec ses cultures, ses histoires, sa géographie, tout cela sorti de l’imagination de Tolkien. Vous serez heureux d’apprendre que si vous n’aimez pas quelqu’un, il suffit de lui dire « Ego mibo orch », ce qui signifie littéralement « va embrasser un orc ».
Le quenya — Le Seigneur des anneaux
Si le sindarin est la langue elfique que l’on entend le plus dans Le Seigneur des anneaux, c’est bien le quenya que Tokien a le plus développé. L’auteur a commencé à le créer bien avant ses romans, en s’inspirant notamment du finnois, du latin et du grec, pour en faire une langue « haute », presque liturgique, une sorte de « latin elfique ». Dans l’histoire, c’est la langue des Hauts Elfes partis en Valinor, utilisée pour la poésie, les chants et les textes savants plus que pour la conversation quotidienne.
Le quenya a quelque chose de plus solennel que le sindarin. On l’entend surtout dans les noms propres, les invocations ou certains poèmes, comme le célèbre Namárië. Le sindarin pour la Terre du Milieu du présent, marquée par les guerres et les départs, le quenya pour la mémoire, les mythes et la nostalgie d’un âge d’or révolu. Même sans comprendre les mots, vous sentez tout de suite que quelque chose de sacré se joue quand le quenya résonne à l’écran. Au moment des fêtes de fin d’année, vous pouvez dire « Alassëa merendë » à votre famille pour lui souhaiter de « joyeuses fêtes ».
Heptapod A et B — Premier Contact (2016)
Dans Premier Contact, la langue heptapode est autant un concept qu’un outil de communication. Le film adapte la nouvelle Story of Your Life de Ted Chiang, où une linguiste tente de comprendre deux systèmes : un langage oral (Heptapod A) et un langage écrit circulaire (Heptapod B). Pour le cinéma, les équipes de Denis Villeneuve, menées par le chef décorateur Patrice Vermette et l’artiste Martine Bertrand, ont créé ces fameux logogrammes noirs en forme d’anneaux, où chaque « tâche » concentre une phrase entière. Cette écriture a été analysée et approfondie par des scientifiques et des linguistes, jusqu’à ce qu’un dictionnaire d’une centaine de logogrammes soit créé.
Là où ça devient vraiment intéressant, c’est que cette écriture n’est pas linéaire : les Heptapodes semblent concevoir la phrase comme un tout, comme s’ils voyaient le temps d’un seul bloc. Leur langage n’est plus une simple représentation de leur culture et de leur histoire, mais aussi de leur façon de percevoir, de penser et de vivre le réel. Apprendre leur langue revient alors à modifier sa propre perception du temps. Ici, la langue n’est plus seulement un marqueur culturel, elle devient le cœur même du récit et du twist émotionnel du film. Peu de créations linguistiques ont été aussi intimement liées à la structure narrative d’une histoire. D’ailleurs, si l’on apprenait à écrire cette langue, est-ce que nous commencerions à penser de manière non linéaire ? C’est l’une des pistes explorées dans le film. Passionnant.
Le huttese — Star Wars, épisode VI : Le Retour du Jedi (1983)
Dans la saga Star Wars, le huttese est la langue des Hutts, des criminels de Tatooine et de toute une faune interlope de la Bordure extérieure. On l’entend surtout dans la bouche de Jabba, de ses sbires ou des contrebandiers qui gravitent autour de lui. Pour le créer, les équipes d’ingénieurs du son de George Lucas se sont appuyées sur des sonorités inspirées principalement du quechua (famille de langues parlées dans les Andes) et d’autres langues.
Le huttese est comme un rappel constant que la galaxie ne parle pas d’une seule voix, que tout n’est pas Empire, rebelles ou Jedi. Là où le Basic (le nom donné à la langue anglaise dans Star Wars) symbolise l’ordre dominant, ce parler un peu gras devient la bande-son de tout ce qui échappe à la loi.
Le langage des Minions — Moi, moche et méchant (2010)
Dans Moi, moche et méchant, le langage des Minions — souvent appelé Minionese — est à l’opposé du sérieux de langues comme le klingon ou le sindarin. Pierre Coffin et ses collègues l’ont conçu comme un joyeux mélange de mots empruntés à l’anglais, au français, à l’italien, à l’espagnol, au japonais ou au tagalog, le tout agrémenté d’onomatopées et de sons absurdes qui amplifient l’effet comique du film. On reconnaît parfois un « Banana! », un « Papaya ! », ou des morceaux de phrases noyées dans la folie incompréhensible des Minions.
C’est un outil comique d’une efficacité redoutable. Le Minionese reflète parfaitement la nature de ces créatures : chaotiques, enthousiastes, un peu idiotes, mais jamais méchantes. Créer une vraie langue construite et logique aurait été bien dommage. Ici, on a l’effet immédiat, celui qui fait sourire quand on entend un « Bello ! » aigu au milieu d’une scène d’action. Et à ce niveau-là, c’est un succès total.












































































































